L’art et la représentation de l’eau dans le paysage

Brocken circle

L’eau est un élément indispensable à l’Homme et elle a tout naturellement inspiré les artistes qui n’ont jamais cessé de louer sa beauté et ses innombrables facettes. Si peintres, musiciens et écrivains ont choisi l’eau comme sujet de prédilection, sa représentation dans le paysage diffère en fonction des cultures et des époques.

La peinture de paysage en Chine : Shanshui

En chinois, l’eau est désignée par shui et la montagne est shan. Le Shanshui désignait donc initialement « les monts et les eaux ». Il a ensuite évolué pour finalement signifier « paysage » au IVème siècle. Soulignons toutefois qu’il s’agit d’un paysage particulier, constitué de montagnes et d’eau, et  qui tend vers le spirituel.

Le Shanshui est un art à la fois poétique et pictural puisqu’il s’agit d’un paysage peint avec des inscriptions calligraphiées. Il s’agit pour l’artiste, qui est également poète, d’établir une harmonie entre l’homme et ce qui l’entoure. La montagne correspond au Yang, qui symbolise ici la stabilité, tandis que l’eau correspond au Yin en tant que changement incessant.

L’oeuvre doit permettre au spectateur de s’immerger dans le paysage représenté. Les artistes intellectualisent le paysage. L’artiste ne cherche pas à copier la réalité mais à exprimer l’harmonie du cosmos et des sentiments, des états d’âme, des émotions.

Les artistes chinois inspireront d’ailleurs leurs voisins japonais et coréens. Précisons que l’eau est non seulement l’objet de la représentation, mais aussi le médium de la représentation, car le lavis est bien évidemment une technique très prisée des artistes chinois.

L’art des jardins en Chine et au Japon

L’eau est très présente dans les jardins chinois ou japonais. Dotée d’une symbolique forte, on la retrouve sous forme d’étang, de bassin, de ruisseau ou de cascade. Tout comme pour l’art pictural Shanshui dont il est d’ailleurs issu, le jardin répond à une certaine codification qui le rendra propice à la contemplation, à la méditation et à la création.

L’eau n’alimente pas que les jardins, on la retrouve fréquemment dans les haïkus japonais. Et les poètes chinois, comme le célèbre lettré, peintre et poète du VIIIème siècle Wang Wei, ou son contemporain Li Po, y font aussi constamment référence : c’est un motif d’inspiration récurrent chez ces artistes.

L’eau, harmonie musicale

L’eau est par essence musicale, qu’elle émette des sonorités douces et cristallines lorsque coule une rivière, ou au contraire un son puissant comme celui des chutes au débit impressionnant. Il n’est pas étonnant que les musiciens aient été sensibles à cet élément.

Ainsi Chopin, dans son Prélude à la goutte d’eau, utilise la note la de façon répétitive. L’auditeur a l’impression d’entendre des gouttes de pluie qui tombent. Chopin souhaite traduire les harmonies de la nature sans pour autant les imiter comme le souligne Peter Dayan dans son ouvrage Music Writing Literature, from Sand via Debussy to Derrida.

L’eau dans la peinture de paysage en occident

Alors qu’en Asie, on a vu que la notion de paysage existe dès le IVème siècle, il faut attendre la Renaissance pour que le concept de paysage se développe en Occident. En art, le paysage est tout d’abord un élément que l’on trouve en arrière-plan. Il ne faut pas pour autant sous-estimer sa signification, souvent très riche d’un point de vue symbolique. Prenons l’exemple du paysage qui se trouve derrière La Joconde et du fameux sfumato de Léonard de Vinci: le paysage n’est pas juste un élément décoratif, bien au contraire, et il fait l’objet d’innombrables commentaires des historiens d’art.

Toutefois, la peinture de paysage en tant que sujet à part entière fut d’abord considérée comme un genre mineur en Occident. Elle connaît pourtant un grand succès en Hollande où les commandes de riches bourgeois affluent dès le XVIème siècle. Les artistes représentent tantôt une rivière, la mer ou encore des canaux. Parmi les artistes les plus célèbres, on peut retenir Salomon et Jacob Van Ruysdael. Dans leurs paysages, l’eau est omniprésente, qu’elle borde un château, alimente un moulin à eau.

Les marines : l’illustration de la puissance maritime d’une nation

La Hollande est également une grande puissance maritime dès le XVIème siècle. C’est pourquoi le Siècle d’Or hollandais privilégiera les peintures de marines pour illustrer le prestige de la nation hollandaise. Deux peintres du XVIIème y ont consacré leur art : Van de Velde l’Ancien fut marin avant de devenir un célèbre peintre de marines. Son fils, Van de Velde le Jeune, est aussi connu pour ses peintures de batailles navales.

L’eau, reflet des états d’âme

L’eau est également très présente dans trois courants artistiques fondamentaux : le baroque, le romantisme et le symbolisme.

Pour les artistes baroques, l’eau sert à exprimer le mouvement perpétuel, l’illusion, l’agitation, l’expression des sentiments, ce qui permet de conférer un effet dramatique aux scènes représentées. Le Bernin est le sculpteur le plus célèbre de ce courant baroque. La fontaine des Quatre-Fleuves en est un exemple magistral.

Avec l’émergence du courant romantique au XIXème siècle, l’eau devient le miroir de l’âme, elle permet l’exaltation des sentiments chez l’artiste. Ainsi, les poètes romantiques ont abondamment utilisé l’eau et ses infinies variations pour nourrir leurs créations. On ne compte plus les vers se référant à l’eau, à la mer, aux canaux, dans les poèmes de Baudelaire : l’Albatros, l’Invitation au voyage ou L’Homme et la mer n’en sont que quelques exemples. Et on ne peut omettre de citer Le Lac de Lamartine, poète romantique et parnassien, adepte de l’art pour l’art.

Turner, peintre romantique à ses débuts, est surnommé le peintre de la lumière. Mais chez Turner la lumière joue toujours avec l’eau, omniprésente dans son oeuvre. C’est pourquoi on le qualifie parfois de pré-impressionniste. Il apprécie aussi l’eau comme médium pour ses aquarelles.

Les artistes symbolistes, proches des romantiques, souhaitent déchiffrer les mystères du monde et l’eau est un de leurs sujets de prédilection. Une des oeuvres symbolistes les plus célèbres est sans conteste celle du peintre préraphaélite Millais, Ophélie, cette jeune héroïne shakespearienne qui se noie dans un ruisseau.

L’eau est également très présente dans les poèmes de Rimbaud, poète proche des symbolistes, notamment dans Le Bateau ivre, le Dormeur du val ou dans son Ophélie, hommage à l’oeuvre de Millais précitée.

L’eau au coeur du paysage impressionniste

Les impressionnistes sont des maîtres dans l’art du paysage. Ils ont représenté l’eau sous toutes ses facettes. Ils aiment peindre sur le motif et privilégient les effets de lumière, notamment sur l’eau, ainsi que les changements atmosphériques. Ainsi, Monet laisse l’eau envahir totalement sa toile dans ses dernières oeuvres représentant les Nymphéas.

Les successeurs des impressionnistes, les pointillistes et divisionnistes, tels Seurat ou Signac, vont encore plus loin dans leurs recherches en optique et privilégient aussi la représentation de l’eau dans leurs tableaux.

L’eau, champ de l’expérience artistique des land artistes

Le land art est un mouvement artistique contemporain né dans les années 60 qui met la nature à l’honneur puisque l’artiste va travailler et jouer avec les éléments naturels pour créer une oeuvre d’art. Le land art est par essence voué aux caprices des éléments naturels. Il est aussi l’occasion pour les artistes de glorifier la nature et d’en révéler toute la beauté. Les land artistes choisissent souvent de créer leur oeuvre sur l’eau ou à proximité d’une source d’eau. On pense notamment à Spiral Jetty, ou à Broken Circle, deux oeuvres de Robert Smithson datant de 1970 et 1971. Mais aussi aux célèbres Surrounded Islands de Christo créées pour dénoncer les tonnes de déchets déversées dans ces îlots de la baie de Biscayne en Floride. Ou encore aux nombreuses oeuvres d’Andy Goldsworthy qui travaille avec l’eau sous toutes ses formes : un lac, dans Calme au petit matin, la glace, dans Touching North, quatre sculptures réalisées au Pôle Nord, ou encore la pluie, dans Allongé sur le sol jusqu’à ce qu’il pleuve, où l’artiste laisse une trace de son corps allongé sous la pluie.

On constate donc que l’eau dans le paysage a de multiples représentations et connotations. Chère aux artistes, elle les nourrit spirituellement et est une source intarissable d’inspiration et de création.

Isabelle Gheleyns-Guedj

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